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La légende de L'ÉPINE

On raconte au moins depuis le XVIIe siècle, qu'un fait miraculeux serait à l'origine de L'Épine. Des bergers, la veille de l'Annonciation, auraient découvert une statue de la Vierge à l'Enfant dans un buisson d'épines, dégageant une forte lumière. L'évêque serait venu et aurait placé l'image dans une chapelle préexistante.

Récit populaire, la légende a aussi un sens symbolique cohérent avec la Révélation chrétienne. D'abord, le buisson renvoie au buisson ardent que vit Moïse et qui, au Moyen Âge, était considéré comme une image de la maternité virginale de Marie. Ensuite, la Vierge Marie est associée à des motifs de l'Ancien Testament, comme le lys entre les épines. Dans la culture populaire, l'aubépine était particulièrement associée à la Vierge Marie ; elle était portée le mois de mai par les petites filles quêtant pour orner l'autel de la Vierge, coutume courante en Champagne. Aussi, en recueillant ce que l'on peut savoir des récits légendaires, il ne faut pas oublier l'arrière-plan symbolique. Les légendes d'invention (c'est-à-dire de découverte) d'une image mariale sont souvent nées pour légitimer et justifier le choix d'un lieu que l'on considérait élu par Dieu, parfois dès la fin du Moyen Âge, mais bien souvent dans le contexte de la Réforme catholique du XVIIe siècle.

Toutefois, pour L'Épine, on ne sait pas vraiment ce qui motivait réellement les pèlerins dans les débuts du pèlerinage :

  • la statue,
  • les reliques (en particulier une relique de la Vraie Croix mais aussi une relique du saint Lait de la Vierge),
  • l'eau du puits (mais ce n'est guère qu'à partir du XVIIIe siècle qu'elle est mentionnée comme but des pèlerins),

sans doute un faisceau de différentes sacralités s'additionnant.

La « pulsion pèlerine », se mettre en route, a en elle-même sa propre justification et selon les époques et l'évolution de la piété et de ses manifestations, les motivations concrètes des pèlerins ont pu changer.

 

Naissance et épanouissement d'un sanctuaire

Le village de L'Épine s'est constitué progressivement, à la fin du Moyen Âge autour de l'édifice, qui n'était à l'origine qu'une humble chapelle. C'est le hameau de Melette, sur la commune de L'Épine, qui était le siège de l'ancienne paroisse. Des fouilles y ont révélé la présence d'une église dès l'époque mérovingienne (VIIe siècle). Cette église dédiée à Saint-Léger dépendait de l'abbaye Saint-Jean de Laon.

Le site de l'église de L'Épine était quant à lui probablement à la limite entre les territoires de Melette et de Courtisols. Les lieux-dits « L'épine » ne sont pas rares en Champagne-Ardenne. Il s'agit le plus souvent de lieux isolés, loin des villages. Les haies d'épines étaient utilisées au haut Moyen Âge pour marquer les limites entre des propriétés. C'est une possible origine du nom de lieu L'Épine : un ancien lieu-dit marquant la limite entre deux paroisses. Cependant à L'Épine, le nom est également chargé d'une valeur religieuse forte, puisque le motif du buisson d'épines est au Moyen Âge associé à la Vierge Marie. L'église Sainte-Marie de L'Épine, mentionnée pour la première fois vers 1200, n'était probablement qu'une modeste chapelle rurale desservant quelques habitations établies auprès d'elle ou plus bas en direction de la Vesle, notamment à l'ancien lieu-dit Chevy ou Chivette (qui a donné l'actuelle rue de Chivette).

Mais brusquement au début du XVe siècle, les habitants se lancent dans un ambitieux chantier de reconstruction. C'est un procès qui en 1404-1406 nous fait connaître la cause de cette soudaine effervescence : on évoque l'existence d'un pèlerinage à la Vierge Marie que l'on décrit comme immémorial. Parallèlement on voit que les legs à « Sainte-Marie de L'Épine » ou « Sainte-Marie de Courtisols » sont plus nombreux dans les testaments. Les temps étaient alors particulièrement difficiles, Châlons et ses environs ayant beaucoup souffert de la Guerre de Cent Ans et des fléaux tels que la peste. Les pèlerins étaient avant tout des gens des environs et des Châlonnais, mais dès le début du XVe siècle on rencontre aussi des Lorrains. L'Épine, pour les Châlonnais, est un peu devenue une église urbaine hors-les-murs vers laquelle se sont dirigés les plus vifs rayons de la piété urbaine. Les habitants de L'Épine et de Courtisols administraient ensemble les biens paroissiaux dans l'institution que l'on appelait la fabrique. Ce sont eux qui ont projeté l'édifice actuel pour répondre à l'affluence des pèlerins et grâce aux nombreuses offrandes.

Le chantier décrit comme entamé en 1406 s'est terminé en 1527, ou peu après, pour le gros-œuvre. Il a connu sans doute bien des arrêts et des modifications. On connaît le nom du maçon châlonnais Etienne Pontoise, travaillant sur l'église en 1431, qui abandonna le chantier et dont les biens furent saisis par la fabrique. En 1455, Blavet Nérault aurait travaillé sur le chantier et serait responsable de l'introduction du style flamboyant : il a probablement jeté les bases de la façade sans qu'il soit aisé de retracer la chronologie de la construction de ce morceau de bravoure. L'achèvement de l'édifice par le chœur et les chapelles rayonnantes est mieux connu. Après une première campagne où intervint Regny Goureau, à partir de 1509, l'achèvement fut confié en 1515 à Guichart Antoine et Antoine de Bertaucourt. Au XVIe siècle, le sanctuaire est encore prospère à en croire les aménagements tels que le buffet d'orgue, les autels des chapelles ou la clôture de chœur.

Après des démarches en cours de Rome, les habitants obtinrent le transfert du siège de la paroisse de Melette à L'Épine, par bulle du pape Calixte III en 1458. Ce changement institutionnel sanctionnait sans doute l'évolution marquée par l'abandon progressif du village de Melette et le groupement d'habitants autour de la nouvelle église. Les sources concordent pour attribuer aux laïques l'essentiel des initiatives en ce qui concerne le chantier et sans doute l'encadrement du pèlerinage. Néanmoins, les prêtres desservant l'église avaient évidemment un rôle dont on connaît moins les spécificités. Certains n'avaient obtenu L'Épine que comme une source de revenus, les messes étant dites par des vicaires ou chapelains. On connaît d'ailleurs un important procès entre les habitants de Courtisols et L'Épine et le curé Jacques de la Vieilville qui voulait capter l'offrande de 1200 écus d'or faite par le roi Louis XI, offrande que les habitants avaient bien vite injecté dans les dépenses du chantier.

 

Flux et reflux : le mouvement des pèlerinages 

Dès le XVe siècle, on trouve des mentions de la dévotion de pèlerins de différentes couches sociales. Les plus nombreux sont anonymes et laissent des offrandes dans des troncs (mentionnés en 1406). Les bourgeois de Châlons participent au chantier, par des legs testamentaires ou en offrant des verrières. En 1439, les Merciers de Châlons (à l'époque ils s'agissaient de vendeurs de maints menus objets comme nos quincaillers actuels) sont venus en pèlerinage et ont fait une offrande. Un riche bourgeois de Verdun, Gilles Paixel, est venu à L'Épine en pèlerinage en 1408 après avoir fait le pèlerinage de Terre Sainte et du Sinaï. Il offrit une relique du saint Lait, probablement prélevée à Bethléem lors de son pèlerinage. Parmi, les princes, il faut d'abord mentionner le duc de Bar, Robert, qui en 1406 paie un vicaire pour faire le pèlerinage de L'Épine. Il était alors courant de payer un « vicaire » pour accomplir un pèlerinage. Le pèlerinage de Charles VII, venu avec sa cour lors d'un séjour à Châlons en août 1445, dans une période d'apaisement, pouvait résonner comme une forme de reconnaissance officielle du pèlerinage populaire. En 1455, le duc de Bourgogne Philippe le Bon, fit porter des offrandes devant les reliques de L'Épine. Le roi Louis XI quant à lui fit porter la somme de 1200 écus d'or à Notre-Dame de L'Épine, le 15 août 1471.

Les lettres patentes de Charles VII évoquent les miracles faits en l'honneur de la Vierge Marie. L'un des mobiles des pèlerinages était le recours en cas de mort d'un enfant sans baptême (répit). On implorait la Vierge de donner un sursaut de vie au nourrisson mort lui permettant de recevoir le baptême et d'éviter le séjour des Limbes. Cela est mentionné en 1441, quand l'officialité (tribunal de l'évêque) s'inquiète de ce genre de pratiques. Cette demande particulière est sans doute restée une des principales motivations du pèlerinage de L'Épine.

Au XVIIe siècle, dans le mouvement général de la Réforme catholique, les évêques eurent à cœur de rendre le pèlerinage plus conforme aux besoins spirituels et auraient voulu qu'il soit mieux encadré. C'est à cette fin que l'on installa à L'Épine un couvent de frères Minimes. Chargés de l'animation spirituelle du lieu, les Minimes durent cependant partager l'église avec le curé et les habitants qui souhaitaient maintenir leurs usages. Alors que bien des sanctuaires connurent un nouvel élan lors de la Réforme catholique (« pèlerinages-missions »), L'Épine semble être resté un pèlerinage traditionnel et surtout un lieu de recours spécialisé dans les demandes en lien avec la maternité et la petite enfance. Si le pèlerinage était très vivace au XVIIe siècle, il semble avoir progressivement perdu en vigueur au cours du XVIIIe siècle. L'Église elle-même n'encourageait plus cette pratique, trop peu encadrée.

Après la Révolution et l'Empire on voit le pèlerinage reprendre de la vigueur. La pratique de la bénédiction des enfants témoigne alors d'une constance augmentation de la ferveur et de l'affluence au cours du XIXe siècle. Mais c'est seulement après la guerre de 1870-1871 que les pèlerinages devinrent plus organisés et plus encadrés en particulier avec le lancement du pèlerinage diocésain en 1873 puis un peu plus tard de ce qu'on a appelé le « Retour de Lourdes ». En 1890 on voit culminer les pèlerinages avec le couronnement de la statue qui assembla 10.000 personnes. Dans un contexte de luttes entre les Catholiques et les gouvernements anticléricaux ces pèlerinages avaient pris une tournure presque militante, voire politique. Il s'en suivit une légère décrue jusqu'à 1914. En 1914, couronnant de nouveaux efforts de l'évêque pour honorer le sanctuaire, le pape accorda à l'église la dignité de basilique mineure.

Entre les deux guerres, le pèlerinage connut une vigueur comparable à celle du XIXe siècle. Si le concile Vatican II a bouleversé l'organisation des pèlerinages, ceux-ci sont toujours très actifs.

 

L'ÉPINE, une étape sur les routes de  l'Est

La situation de L'Épine sur une des routes menant de Paris aux villes de l'Est en a fait une étape pour les voyageurs mais aussi pour les Pèlerins. Des Parisiens se rendant à Saint-Nicolas de Port ou des Lorrains se rendant à Reims et à Liesse au XVIe ou au XVIIe siècle, faisaient halte à L'Épine.

Les renseignements sont plus ténus pour les pèlerins se rendant à Saint-Jacques de Compostelle, mais on peut supposer que des Lorrains ou des Allemands se rendant en Galice sont passés par L'Épine.

Les rois furent nombreux à venir en pèlerinage ou en simple visite à L'Épine : Charles VII, Louis XI, François II et Marie Stuart, Catherine de Médicis, sans doute Henri III, Louis XIV, Napoléon, Charles X, le futur Ferdinand II des Deux-Siciles, Louis-Philippe.

Au XIXe siècle, à la suite de Victor Hugo venu en 1838, L'Épine est devenu un lieu de passage des touristes romantiques comme Alexandre Dumas, en route vers Varennes ou l'orientaliste Girault de Prangey qui photographie l'édifice. En 1946, le nonce Angelo Roncalli, futur Jean XXIII rend visite au sanctuaire.

 

L'ÉPINE dans les guerres

Née en pleine Guerre de Cent Ans, L'Épine a toujours traversé les périodes de conflits en sauvegardant son plus beau trésor : encore un fait qui parait merveilleux dans l'histoire de L'Épine !

En 1431, une importante bataille eut lieu entre les troupes françaises et les Anglo-bourguignons entre L'Épine et Châlons au lieu-dit La Croisette. La situation légèrement surélevée du village et située sur une route importante lui dut d'être souvent un lieu de campement des troupes en déplacement.

Lors des guerres de religion, les troupes protestantes de Coligny y campèrent avant de fuir vers l'Est en décembre 1567, poursuivie par le duc d'Anjou (futur Henri III). On a prétendu que c'est de ce passage que date la destruction des anciens vitraux de l'église. C'est possible mais nous n'en avons pas de preuves nettes. De même une légende raconte que le seigneur de L'Épine aurait alors défendu l'église assiégée par les protestants. La station de troupes est attestée notamment en 1590 avec le duc de Nevers. En 1610, les troupes royales partant en guerre pour les duchés de Clèves et Juliers étaient stationnées à L'Épine lorsqu'elles apprirent la mort de Henri IV, assassiné à Paris le 14 mai. Elles voulurent en marquer le souvenir en rappelant l'évènement par une inscription sur la façade de la basilique (à droite du portail central).

Au XVIIe siècle, les Minimes obtinrent des lettres de sauvegarde pour éviter d'être soumis aux dégâts des troupes stationnant. À cette époque les habitants avaient tendance à entreposer dans l'église leurs objets les plus précieux, voire des provisions ou même du bétail.

En 1792, L'Épine servit de lieu de stationnement pour les troupes du général Sparre, peu avant la bataille de Valmy. Mais la situation de L'Épine sur une route de l'Est lui fit grand tort. C'est afin d'établir un télégraphe optique selon le système de Claude Chappe que l'on abattit en 1798 la flèche nord de l'église. Ce télégraphe reliait Paris à Strasbourg et avait un rôle stratégique devant avertir la capitale en cas d'invasion. Il fut abandonné en 1851 au profit du télégraphe électrique et la flèche put être reconstruite grâce à la générosité de Napoléon III en 1867. En 1870, quelques Allemands vinrent prier à l'église et respectèrent le lieu d'après le témoignage du curé.

En 1914, les Allemands occupèrent pendant quelques jours le village, la plupart des habitants ayant fui. Probablement par représailles, tout un côté de la rue principale (actuelle avenue du Luxembourg) brûla. Lorsque les Français reprirent l'offensive, il fut question de bombarder l'église, lieu d'observatoire pour les Allemands. Le lieutenant Louis Crapez d'Hangouwart prit sur lui de différer l'application des ordres reçus. C'est ainsi que l'église fut sauvée.

Pendant la Seconde Guerre Mondiale, le diocèse créa une association Notre-Dame de L'Épine pour les prisonniers de guerre. Au lendemain de la guerre, des prisonniers apportèrent une croix faite de barbelés en reconnaissance.

                                                                                                                          Jean-Baptiste RENAULT